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Blog de Romy
La vie apres le blog
Eva de
Berlin
Jour 24


Ma rencontre avec le Père Noël

Joyeux Noël à tous ! Dans cette dernière fenêtre du calendrier de l’Avent, nous avons décidé de vous présenter un membre de « l’autre génération 80 ». Celle qui approche non pas les 30 mais les 80 printemps. Celle qui vit sans téléphone portable ni Internet. Dans le métro, j’ai fait la connaissance d’Alfred, berlinois depuis sa plus tendre enfance.

Alfred s’apprêtait à rentrer chez lui par la ligne 6. Je l’accoste sur le quai, monte avec lui dans la rame, lui explique en deux mots mon projet. « Tous les jours pendant un mois, j’ai écrit le portrait d’un berlinois de moins de 30 ans. Pour le 24 décembre, j’aimerais interviewer… » « le Père Noël ?, me coupe-t-il. Et bien me voilà ! Je suis votre Père Noël ! ». Quelques stations plus loin, à Stadtmitte, il m’invite à descendre et à le suivre. « Vous habitez là ? ». « Non, bien plus loin. Mais ici, nous trouverons de meilleurs cafés pour discuter. »

Après un petit tour sur la place Gendarmenmarkt - « l’une des plus belles d’Europe » -, dans l’Eglise française et chez l’un de ses chocolatiers préférés, nous entrons dans un grand café de style viennois. « Je n’ai jamais quitté Berlin. Je suis un vieil homme heureux. Mes deux plus grandes joies : avoir survécu à la guerre et avoir assisté à la chute du mur ». C’est avec ces mots que se présente Alfred, père de deux enfants et deux fois grand-père.

La Seconde Guerre mondiale, Alfred s’en souvient bien. Il n’avait qu’une dizaine d’années mais revoit encore les scènes de l’entrée des soldats russes dans Berlin. Les panzers. Comment ses parents et lui ont été chassés de leur appartement du quartier de Lichterfelde et ont dû se réfugier dans une caserne avec des dizaines d’autres familles. Les pillages, les viols. L’arrivée des troupes d’occupation. Son père, en sautant d’un convoi en marche, se casse le pied et ne part donc pas au front. « Cela a été la chance de sa vie. Il ne serait certainement jamais rentré du champs de bataille à la frontière germano-polonaise ».

1961 fut assurément une année marquante dans la vie d’Alfred. Celle de la mort de sa mère, celle de son mariage en même temps que celle de la construction du mur de Berlin. « A la cérémonie, se souvient-il, il manquait non seulement ma maman mais aussi toute une partie de la famille désormais obligée de rester de l’autre côté du mur, en RDA ». Pendant toutes les années de guerre froide, la famille continue de se voir dès que l’occasion se présente. Chaque visite côté Est est un véritable périple. « La veille, impossible de dormir ! ». A la frontière, toutes les valises sont fouillées, même les paquets de café sont ouverts pour en vérifier le contenu. Quant aux catalogues publicitaires, ils sont tout simplement interdits : pas question de dévoiler les prix qui se pratiquent de l’autre côté. « Il a fallu beaucoup d’efforts pour garder le contact avec les amis et les parents installés en RDA. Ne pas les regarder de haut, ne pas leur faire envie. Certains sujets, comme l’argent ou les voyages, ont dû être bannis des conversations. »

Pendant toutes ces années – 43 ans en tout -, Alfred a été fonctionnaire. Un métier « peu intéressant », dont il n'a pas envie en tout cas de me parler. Il préfère largement me raconter comment il a vécu la chute du mur : « avec ma femme, nous avons vu Günter Schabowski sortir de sa poche ce document qui annonçait l’ouverture de la frontière. Nous n’y avons pas cru ! Nous nous sommes couchés, persuadés que ce n’était pas possible. » Le lendemain, tous les deux découvrent de leurs propres yeux que le mur est réellement en train de tomber. Une fois qu’ils réalisent enfin, c’est un grand sentiment de joie qui les envahit. Après la réunification, Alfred retourne à Potsdam pour revoir l’école primaire qu’il avait fréquentée jusque pendant la Guerre. Mais il se rend compte que celle-ci n’existe plus depuis longtemps.

La Guerre ou le Mur, aussi importants qu’ils aient pu être dans la vie d’Alfred, ne pourront jamais être compris par ses descendants ; le vieil homme en est du moins persuadé. « Mon petit fils qui a 15 ans me rappelle toujours que pour lui, le mur n’est rien de concret puisqu’il ne l’a jamais connu. Et je comprends ! Si on n’a jamais vu d’Indiens mourir, on ne peut rien ressentir quand on les voit se faire abattre dans les westerns à la télé. » Pour cette raison, Alfred prédit que les nouvelles générations sont vouées à refaire les erreurs de leurs aînés. L'armée. La Guerre. Quand il pense aux jeunes d’aujourd’hui, Alfred doit d’abord faire un constat : le marché du travail a bien changé. « Tous les jeunes n’aspirent qu’à passer leur temps devant leurs ordinateurs. Plus personne ne veut apprendre de métier manuel ! ». Très vite, il pense aussi aux jeunes issus de l’immigration. A la violence. Il regrette que l’Allemagne n’ait pas su mieux les intégrer. « Tout le monde devrait avoir les mêmes chances ! ». Pour autant, Alfred est confiant. « Quoiqu’en disent les médias qui dressent souvent un tableau noir, les jeunes font beaucoup de belles choses, ils se démènent pas mal. »

Pendant les dernières minutes de l’interview, mon Père Noël d’un jour me livre ses conseils de vie. « Tout ce qui importe, mon enfant, c’est de vivre libre. De trouver un espace de liberté, aussi petit soit-il. Et de parvenir à être en accord avec ce que l’on est vraiment. Ce n’est pas facile et même moi je n’y suis pas encore complètement arrivé. Mais s’en rapprocher, c’est déjà un grand pas vers le bonheur ».