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Blog de Romy
La vie apres le blog
Eva de
Berlin
Jour 7


Les lettres, c’est mieux

En pleine période d’examens, l’apprentie orthophoniste Anika a bien voulu me rencontrer un soir et me raconter en vrac son parcours depuis Rostock jusqu’à Berlin, ses souvenirs de la réunification, ses rêves et sa philosophie de la vie.


Comme prévu, nous nous sommes retrouvées au "Courage", près de la Senefelder Platz. Dans une ambiance cosy à la lueur des bougies, Anika m’explique qu’elle aime surtout ce bar pour sa clientèle hétéroclite : « il y a des jeunes, des vieux, des gens chics, d’autres fauchés ». Nous discutons du blog Génération 80 et Anika m’avoue détester Internet. Facebook, c’est à peine si elle en a entendu parler. Elle a bien une adresse mail, mais celle-ci s’intitule : « les lettres, c’est mieux ». Trop rapide, trop d’informations, trop virtuel. Pourtant, depuis deux mois, Anika a quand même installé une connexion dans son appartement de Prenzlauerberg. « Pour ne pas être coupée du monde, et parce que c’est quand même souvent pratique ».

Pour manger, elle décide de m’emmener au café "Frida Kahlo". Sur le chemin, elle m’explique son admiration pour le personnage, ainsi que pour Camille Claudel. Féministe, Anika ? «Certainement pas! Originaire de la RDA, ma mère n’a jamais eu ce besoin d’émancipation qui s’est développé à l’Ouest. Comme presque toutes les femmes de l’Est, elle a toujours concilié vie professionnelle et vie familiale. C’est peut-être pour cela que je ne me suis jamais définie selon mon genre».

Anika avait beau n’avoir que six ans au moment de la réunification, elle en a des souvenirs encore très vivants. Et pour cause : cette période de bouleversement politique a coïncidé avec de grands chamboulements au sein de sa famille. Amoureuse d’un de ses collègues marionnettiste depuis un moment, c’est en 1989 que la mère d’Anika choisit de divorcer. Quand le mur tombe, tout s’enchaîne. Elle et son conjoint prennent la petite sous le bras et quittent précipitamment Rostock, direction Berlin. Promesse d’une vie nouvelle plus libre et plus heureuse. Le frère d’Anika reste avec son père dans le Nord de l’Allemagne. Après la spectaculaire ruée vers l’Ouest, l’Est de la capitale est étrangement vide. Les appartements sont encore meublés et les clés sont sur les portes. On s’installe, et personne ne réclame de loyer pendant les premières années, le temps que la situation immobilière se stabilise. «Dans chaque immeuble, se souvient Anika, les portes des appartements étaient toujours ouvertes. On était toujours les uns chez les autres. C’était comme une grande famille».

A 19 ans, la jeune fille s’inscrit en fac pour des études d’allemand et d’hébreu. Elle aurait préféré se diriger vers le professorat mais les places y sont chères et elle est refusée. Très vite, Anika se rend compte qu’elle déteste l’université. Elle ne supporte pas d’être noyée dans un amphithéâtre au milieu d’une centaine d’étudiants. Pour Anika, l’horreur, c’est justement l’anonymat. « Je trouve cela dommage que les jeunes de mon âge aient les mêmes vêtements, les mêmes goûts et souvent la même attitude blasée. Aujourd’hui, tout le monde veut se démarquer mais paradoxalement, au final, tout le monde se ressemble ! »

Anika décide alors de mettre les voiles. De partir à l’autre bout du monde. Elle est embauchée sur un bateau de croisière le long des côtes sud-américaines. A bord, elle prend les touristes en photos. Panama, Costa Rica, Mexique... chaque jour un nouveau port, un nouveau pays.

De retour en Allemagne au bout de six mois, elle se tourne vers l’orthophonie, « une branche basée sur le contact aux autres ». Aujourd’hui, Anika travaille 25h par semaine dans un cabinet pour enfants. Elle me montre ses mains, elles sont pleines de feutre. Des enfants, Anika en veut. Et plein !

Dans quelques jours, elle aura fini sa formation. Mais elle ne compte pas s’arrêter à ce diplôme. Orthophoniste est un métier ingrat où l’on donne beaucoup d’énergie pour une récompense minime. Et puis, elle qui avait détesté ses premières années à la fac a aujourd’hui de nouveau envie d’apprendre. Pour devenir psychologue, pédagogue spécialisé, ou peut-être institutrice. L’important étant de faire quelque chose qui lui plait, bien sûr. Et surtout de ne jamais mener une vie trop bien rangée. De ne jamais perdre sa curiosité. De continuer à s’amuser comme une enfant.